Hm. Il doit y avoir méprise. ft. Mathéo Adams

Hm. Il  doit y avoir méprise.

« Mais putain de… PUT-… PUTAIN DE TELEPHONE DE MERDE ! »

Bruit de fracas sur le bitume. Sursauts des passants. Regards abasourdis. Apeurés. Puis la colère s’essouffle, s’évanouit juste assez pour que Kane réalise son action. « Merde ! » Elle s’empressa de récupérer le téléphone qu’elle venait de jeter au sol avec violence, avant de l’examiner minutieusement. Constatant qu’il fonctionnait toujours malgré les blessures, elle poussa un soupir satisfait. Le vendeur avait eu raison lorsqu’il lui avait vanté sa résistance. C’était probablement le seul téléphone du marché à pouvoir survivre aux accès de colères de la ghoul.

Cela faisait bien dix minutes qu’elle s’efforçait tant bien que mal de communiquer avec Yahiko, une ghoul qu’elle avait rencontrée quelques jours plus tôt et qui lui avait promis un duel. Celui-ci ne s’était pas manifesté et semblait jouer à l’innocent par message, ce qui avait légèrement fait monter la tension de la cannibale. Elle se voyait déjà en train de lui broyer le visage.



Lâche ? ELLE ? Kane se mit à voir rouge. Cela faisait des années que personne n’avait jamais osé la traiter de lâche. Elle était tout sauf lâche. Elle était forte, elle était brute, elle était indomptée, et elle allait lui montrer, à ce sale trouillard. Elle allait lui arracher les doigts un par un jusqu’à ce qu’il avoue ses torts. Elle allait lui montrer qu’il ne sortirait pas vivant d’un tel affront. Un sourire se tordit sur son visage. La guerrière avait soif de bataille.


Le jour était à son chevet et l’obscurité étendait son emprise sur les ciels de Tokyo. Certains humains regagnaient leur domicile après une dure journée de travail, d’autres continuaient à errer dans les rues illuminées d’une centaine de couleurs, tandis que d’autres encore s’enivraient des délices de la nuit. Kane, elle, allait à la guerre. Et les malheureux humains qui croisèrent son regard brûlant eurent l’air de fondre sur place. Disons qu’il fallait être fou pour essayer de se mettre sur le passage de cette bête sauvage. Elle avait la rage et la passion dans les veines, la faim au ventre, la faim de combat de violence et de sang.

Le parc s’était peu à peu vidé de ses visiteurs, si bien que le lieu avait des allures mystiques, enveloppant la guerrière dans un voile ténébreux. Le calme avant la tempête. Son adversaire n’était toujours pas présent, alors elle saisit son téléphone. Si celui-ci avait osé lui poser un lapin, alors elle le retrouverait, l’étriperait et le couperait en morceaux. PERSONNE ne pose de lapins à Kane.

« Bon, comment j’appelle avec ce truc… Eh.. Ah ! » le son du téléphone lui annonça que l’appel avait été lancé. « A-allo ? ALLO ? Putain mais… Pourquoi ça continue de sonner ? ALLO ?? » Kane grinça des dents et se massa entre les deux yeux. Mais qui avait inventé cet outil infernal ? La ghoul prit une grande inspiration, serra les poings, puis abandonna l’idée de se calmer. « YAHIKO MONTRES TOI SALE CHIEN ! »

Hm. Il  doit y avoir méprise.

Kane bondit et se tourna vivement vers la voix qui venait de briser le silence qui régnait. Une figure élancée s’avançait avec fureur vers elle. La ghoul plissa les yeux. La démarche annonçait bien un esprit combattif, mais dans ses souvenirs, Yahiko était plus… Imposant. Et moins bleu.

« Huh… Hein ? Mais t’es pas Yahi- » Elle fut coupée par un écran brandi sous son nez. Elle recula la tête brusquement, éblouie, puis écarquilla les yeux, désarçonnée. Son cerveau ne parvenait plus à analyser la situation et elle se contenta d’abord d’observer l’énergumène qui braillait devant elle, confuse.

« C'est TOI qui m'a envoyé ces machins?! C'est pas des doigts que t'as pour écrire!! T'as quoi dans le crâne?! De LA SOUPE?! »

Elle sentit un courant d’électricité la parcourir et son visage se durcit. Ce minable osait lui parler sur ce ton ?! Sa mâchoire se serra, ses ongles s’enfoncèrent dans la paume de sa main et tous ses muscles se contractèrent. Cet idiot venait de réveiller la bête.

« Quoi? Y'a marqué "ciné" sur ma gueule? » Kane ne prêtait même pas attention aux alentours. La ghoul bouillonnait. « P'tain. T'es la gonzesse de Romain? »

Il était temps de lâcher le fauve. Kane saisit l’individu par le col d’une main ferme et le souleva de quelques centimètres au-dessus du sol. Elle n’était plus que crocs et griffes. Fureur et brûlure. Force et enfer. Elle était animée par la fièvre de la colère. Elle plongea ses yeux de rapace dans ceux de son opposant et prononça ses mots d’une voix glaciale.

« Je vais te faire regretter ce que t'as dis espèce de petit fils de P#TE. Je vais tellement te DEMOLIR la face qu'on saura plus faire la différence entre ta gueule et ton CUL ! Et je sais pas qui c'est ton Romain mais je te JURE que j'vais encastrer sa tête avec la tienne ! »

Et en temps normal, Kane aurait appliqué sa menace. Mais alors même qu’elle allait se jeter sur sa proie et le réduire en bouillie, le poids de celui-ci lui sembla bien léger, et, après une observation un peu plus minutieuse, il n’avait VRAIMENT pas la gueule d’un combattant. Du moins, pas selon les critères de la cannibale. Ce n’était pas dans ses habitudes de s’attaquer aux plus faibles.

Un chaos interne eut lieu dans l’esprit de la ghoul. Frapper ? Pas frapper ? Ce gars le méritait franchement. Il l’avait traité de GROGNASSE. Mais d’un autre côté, il serait tout bonnement incapable de se défendre. Son odeur criait humain . Et les humains étaient faibles. Si faibles. Kane l’aurait écrasé avant même d’avoir pu étancher sa colère. Et si le parc était peu fréquenté à cette heure, il n’était pas désert. Et son visage était exposé.

Sa poigne se raffermit sur le haut de son adversaire, ses dents grincèrent alors que sa raison cherchait à enfermer la bête dans sa cage. Un râlement de frustration s’échappa de ses lèvres quand elle lâcha prise, repoussant violemment l’humain afin de s’en éloigner, comme si agrandir la distance entre eux la persuaderait de ne pas enfoncer son poing dans son visage.  

«  RAAAH ! » Elle froissa ses cheveux sur le haut de son crâne, cherchant à extérioriser sa rage. Elle se retourna de nouveau vers l’autre, désespérée. « Pou-... Putain mais pourquoi c'est TOI qui a répondu à la place de Yahiko ?! Ce bâtard était censé venir ! Il me doit un duel ! »

Son énergie sembla s’asseoir le temps d’une seconde, alors qu’elle analysait l’individu des pieds à la tête. Puis elle repartit de plus belle. « Je peux pas faire de duel avec toi ! T'es tout chétif ! MERDE ! »

Hm. Il  doit y avoir méprise.

Le conflit interne de la ghoul fut interrompu par la voix de l’humain qui semblait peu à peu reprendre ses esprits. Mais visiblement, la menace de la brune n’avait pas du être assez percutante.

« G-GORILLE ?! MOI ?! » s’indigna-t-elle. Si son premier réflexe fut de s’insurger, elle conserva sa distance avec l’inconnu. L’insulte lui sembla curieuse : après tout, les gorilles n’étaient-ils pas de puissants animaux ? Mais l’humain n’avait probablement voulu complimenter sa force… Non ! De toute évidence, le mot était une injure dans sa bouche. Elle ? Un gorille ?! Certainement pas ! Elle était forte, certes, mais avec toute la subtilité et la féminité qui va avec ! Elle se jurait qu’elle devait forcément être tout sauf un gorille, et se frustrait encore plus de savoir que l’homme avait touché un point sensible.

« T'es sortie de l'asile ou wesh?! Je connais pas de Yahiko! »

C’était impossible. Ou pas ? Comment pouvait-il être là, devant elle, s’il ne connaissait pas Yahiko ? Ça n’avait pas de sens. Peu à peu, la colère de Kane fut vaincue par l’incompréhension. Elle était là, bouche légèrement entrouverte, encore essoufflée par sa rage qui s’évanouissait, à se remuer les méninges comme elle l’avait rarement fait dans sa vie.

« P'tain.. Mais c'est TOI qui t'es plantée de contact en fait! Comment t'as réussi cet exploit sérieux?! »

Un vent souffla dans le parc alors qu’un silence soudain se posa entre les deux individus. D’un côté, l’humain, agité d’un rire nerveux, et de l’autre, Kane, un bordel de confusion et d’embarras. Elle cligna des yeux plusieurs fois, fronça les sourcils, cherchant à faire le tri dans ses pensées.

« Huh... Attends attends... » Elle sembla marmonner pour elle-même alors qu’elle sortait maladroitement son téléphone de sa poche pour se le coller devant les yeux, relisant les messages à la recherche d’une quelconque explication.  « Je… » Elle leva de nouveau les yeux vers l’inconnu, l’air misérable. " Mais j'y comprends rien à ce truc ! J'ai envoyé un message à Yahiko, pas à... TOI. "

Quelques secondes s’écoulèrent à nouveau, le temps que ses pensées s’assemblent dans son cerveau. Soudain, la lumière sembla s’éclairer, là-haut, alors qu’elle aboya l’explication pourtant évidente. « Ah ! Il m’a donné un faux numéro ! Ce fumier ! » Cela coulait de sens. Kane aurait dû se douter que l’autre ghoul était un peu louche. Qui refuse un combat parfaitement bien tombé et donne à la place son numéro de téléphone d’une voix tremblante ? La cannibale fit de son mieux pour ne pas sortir de ses gongs. L’insulte de « gorille » raisonnait encore dans son esprit comme un écho et elle ne voulait pas causer une autre scène. Mais merde ! C’était décidé, à partir d’aujourd’hui, elle ne mangerait pas avant d’avoir retrouvé ce Yahiko. Comme ça, elle ne pourra que mieux le déguster lorsqu’il tombera entre ses griffes.

Hm. Il  doit y avoir méprise.

Kane se sentit presque blessée d’entendre les éclats de rire du jeune homme, alors qu’elle-même était actuellement en plein désarroi. C’était aussi agaçant qu’inattendu, quand on considère qu’elle avait menacé de lui refaire le visage quelques secondes plus tôt, et que le malheureux avait fini au sol, téléphone et égo fissurés.

« HAHA! Bah alors, ton mec t'évite? » L’humain rigola de plus belle. Kane, elle, cherchait à faire le lien entre la situation actuelle et un potentiel "mec". Comment en était-il arrivé à cette conclusion ? Et puis, en ce qui la concerne, et sans prétention, elle n’avait pas le souvenir d’avoir été évitée par qui que ce soit dans la vie. Enfin, sur le plan romantique. Beaucoup de goules l’évitait, et elles avaient bien raison. Mais en ce qui concerne les relations charnelles, la goule avait souvent été celle qui s’éloignait. Elle haussa un sourcil, confuse.

« Waah, mais comment t’es teubé en vrai. » « EH ! » La brune voulu continuer, mais elle se renfrogna. C’était peut-être dur à attendre, mais elle ne pouvait pas le nier : elle n’avait pas été très maline pour le coup. Pour sa défense, elle n’imaginait certainement pas qu’une goule essaye de la rouler. La plupart savent qu’elle n’est pas du genre à lâcher l’affaire. Mais à y repenser, la plupart savent qu’elle n’est pas très douce non plus, et que les chances de survie lors d’un affrontement sont faibles. Finalement, ce genre de situation était plutôt prévisible.

La nonchalance de son interlocuteur lorsqu’il décida de s’approcher la décontenança.  Était-ce vraiment la personne avec laquelle elle venait d’avoir un échange plus qu’houleux ? Non seulement elle ne ressentait plus aucune trace d’animosité, mais sa peur semblait également s’être dissipée. En temps normal, la plupart des humains étaient bien plus prudents, voir effrayés, lorsqu’ils assistaient à une de ses crises de colère. Cela la rendait un peu penaude, voir un peu embarrassée.

« Azy files, c'est trop bizarre. T'as fais comment pour tomber sur mon num? » Elle posa le téléphone dans sa main machinalement, trop déstabilisée pour réfléchir. En voyant que l’humain étudiait l’objet avec attention, elle commença à comprendre qu’il essayait de l’aider. « Euh… J’en sais rien ? J’ai mis le numéro en haut, dans la… Enfin, là où on met le numéro, quoi. »

« Wow, t'as acheté ça dans le passé? C'est naze. Regarde, t'as bloqué la touche majuscule. » « Non, dans un magasin d’électronique. » répondit-elle du tac-au-tac, alors que son esprit semblait revenir dans le monde réel. Elle se rapprocha un peu plus de son interlocuteur, toute hostilité disparue, et se pencha légèrement vers lui afin d’observer sa manœuvre.  « Tu vois, c'est pas dur. »

Kane écarquilla les yeux. Elle se sentait comme un homme de Cro-Magnon qui venait de découvrir le feu. Elle ne pouvait pas contenir son excitation et un sourire éclaira son visage. « Oh ! C'est à ça que ça servait ! Il y a trop de boutons sur ce machin ! » s’exclama-t-elle avec entrain. Elle se fit la remarque que l’homme n’était peut-être pas si mal, après tout. Elle s’adoucit. La bête qu’elle était n’était plus qu’un adorable petit chaton. « Wow, t'as l'air de t'y connaitre en... touches ! »

Elle releva le regard vers l’inconnu. « Je t’ai mal jugé. Tu es peut-être un faiblard, mais t’es sympa. » Elle fronça les sourcils un instant, songeuse. Finalement, elle lui tendit la main. « Kane. » Elle hésita un moment, puis son expression se fit arrogante. « Je vais pas m’excuser de t’avoir menacé.  Tu m’as traitée de grognasse, quand même. » Une ombre passa sur son visage. « Et de gorille. » Elle secoua la tête, chassant cette pensée.

« Mais j’avoue que je me suis emportée. Je m’attendais à voir quelqu’un d’autre… » Elle ouvrit la bouche, semblant se souvenir de quelque chose. « Oh, et Yahiko est pas mon mec. C'est un gars qui m'a promis un combat. Mais ce lâche a pas les couilles de m’affronter. » Elle souffla du nez.  « Non pas que je le comprenne pas ! Je lui aurais mis une raclée." »

Hm. Il  doit y avoir méprise.

Curieux prénom. Kane se fit la remarque qu’il n’était peut-être pas japonais de souche. Pour la première fois, son regard s’attarda un peu plus attentivement sur son apparence. C’est vrai que la ghoul était plutôt du genre à voir l’esprit avant le physique, et il est également fort probable qu’elle ait été trop aveuglée par la colère pour vraiment prêter attention à son interlocuteur.

Et en effet, ses traits avaient un petit air étranger. Mais plus captivant encore, le jeune homme était un maelström de couleur comme Kane en avait rarement vu. Non seulement ses cheveux étaient colorés de multiples teintes, mais ses iris atypiques prouvaient à la brune que ce n’était probablement pas leur couleur naturelle non plus. Et de manière générale, tout dans sa manière de s’habiller et de se comporter était assez extravagant. Des types comme ça ne sont finalement pas si rares dans la ville de Tokyo, mais le monde de Kane, bien plus grand qu’avant, était toujours au format réduit. Après tout, elle avait « rejoint » la société humaine relativement tard, ce qui expliquait en grande partie sa maladresse quant à certaines technologies et son manque d’éducation assez évident.

« Ok j'avoue, j'étais salé, mais toi tu m'as décollé du sol quand même. Tu bouffes du lion le matin ? »  Un rictus s’esquissa au coin de ses lèvres et elle haussa un sourcil, narquoise. « Ouais, c’est presque ça. »

Bien qu’elle comprenait qu’elle devait dissimuler sa nature à tout prix, cela avait du mal à passer.  Elle n’avait jamais été le genre de personne à vouloir tirer un voile sur qui elle était : Kane a toujours été un livre ouvert. Cela vient en parti du fait qu’elle n’a rien à cacher. Elle exprime ses émotions, bonnes ou mauvaises, et l’influence d’autrui n’a jamais eu aucun lien avec ça. C’était un peu ça, sa force. Parce qu’elle ne cachait rien, rien ne pouvait être utilisé contre elle. Elle n’avait pas honte de ses faiblesses. Elle n’avait pas besoin de mentir ou d’échafauder des plans afin de tromper les autres : elle s’en sortait toujours par la manière forte, entière. Après tout, les bulldozers se fichent pas mal des quelques herbes qu’ils écrasent sur leur chemin. Malheureusement, elle avait bien du se rendre à l’évidence : crier qu’elle était une goule n’était pas vraiment une bonne idée. Car si elle ne rechignait pas à combattre ces fameuses colombes -après tout, elle l’avait déjà fait-, elle souhaitait également conserver un peu de tranquillité.

« Et j’ai bien prévu de l’exploser, comme tu dis. Il serait pas le premier. » Elle du se retenir d’ajouter que, par contre, elle s’assurerait de ne laisser aucun morceaux.

L’idée de garder contact avec Mathéo lui plaisait bien. Leur rencontre aura certes été chaotique, mais le gus n’était pas si mal. Et puis, il avait beau être tout chétif, il avait quand même eu le courage d’hausser la voix face à elle. Il devait en avoir au moins un peu dans le ventre. « On est quittes ! Mais la prochaine, fois, je mettrais ma menace à exécution ! » Elle rit, mais ceux qui la connaissent savent que ce genre de remarque est toujours à moitié vraie, avec elle.

En revanche, elle sembla mal à l’aise suite à la proposition de Mathéo. Elle fut saisie d’un léger tic nerveux. « Hum.. Par contre, je passerais pour la bouffe… Je… Je suis au régime. »  Le mensonge était EVIDENT. Mais avec un peu de chance, l’humain ne poserait pas plus de questions. C’était bien le souci, avec les humains : elle ne les détestait pas, mais les fréquenter avait tendance à faire grimper son anxiété. Elle chercha à éviter le sujet. « Enfin, si ton ex est vraiment un connard, t’as qu’à lui refaire la façade. Ils lâchent souvent l’affaire après. »  Et le pire, c’était que son ton était parfaitement sérieux. Pour la combattante, rien ne semblait plus évident.

Elle haussa tout de même un sourcil, une lueur de malice dans son regard. « Enfin, il te faudrait peut-être prendre un peu de muscle pour ça… Je pourrais t’apprendre deux trois trucs, si tu veux. Après ça tu sauras peut-être te défendre contre sa copine. »
Kane n’était pas trop du genre à offrir son aide. Devoir se battre seule pour sa survie depuis l’enfance l’avait rendue terriblement individualiste. Après tout, il lui était déjà arrivé de sacrifier des amis non plus pour sa survie, mais pour sa gloire et son confort personnel. Mais tant qu’elle y gagnait quelque chose, rendre service ne devrait pas être un problème.

Hm. Il  doit y avoir méprise.

« Euh… Faudra peut-être que tu me parles des trucs comme Facebook aussi, un de ces quatres… » Mathéo était sympathique, mais il rappelait en permanence à Kane à quel point elle était en retard sur sa génération. Elle avait tant de choses à apprendre. Ce genre de connaissances lui avaient longtemps paru bien futiles : obsédée par le combat, elle avait parfois du mal à s’éloigner de son monde et regarder un peu plus autour d’elle. Mais elle commençait à réaliser que si elle voulait garder son identité humaine, elle allait devoir se fondre un peu plus dans la masse. Son piètre jeu d’acteur était peut-être suffisamment pour tromper un humain normal, mais pas un inspecteur. Et puis, ces temps-ci, même les humains devenaient un peu plus prudents : autrefois, il leur était difficile de soupçonner quelque chose qu’ils ne pensaient même pas exister. Mais les choses étaient différentes, aujourd’hui.

« Ah ! Tu peux toujours essayer, tu m’arriveras jamais à la cheville ! »  lança-t-elle, mains sur les hanches, l’air suffisant. S’il savait. Elle n’aurait surement pas été capable de le soulever ainsi si elle avait été humaine, et même en tant que ghoul, sa grande force venait également des fameux repas qu’elle s’autorisait. Le cannibalisme avait beau être mal vu parmi les siens, Kane s’en était toujours moquée. Plutôt que de dévorer sa propre espèce, elle voyait simplement ça comme se nourrir des plus forts. Et si cela lui permettait de grimper les rangs de la chaîne alimentaire, alors elle n’hésitait pas. Elle avait de toute façon beaucoup moins de plaisir à chasser les humains, qui offraient peu de résistance. Il lui arrivait de le faire lorsque le mois avait été difficile, mais à choisir, la chair des ghouls lui semblait bien plus attrayante.

« Espères pas trop non plus. Même moi je peux pas faire de miracle. »  se moqua-t-elle. Elle haussa ensuite les épaules, arrogante. « Tu devrais peut-être y repenser, alors, parce que je ne te lâcherais pas avant de te voir cracher du sang. » Kane n’était pas du genre à y aller doucement, et elle ne ralentissait pour personne. Sa proposition était peut-être un cadeau empoisonné, quand on y pense.

Mais enfin, parler de manger et de se battre commençait à lui monter à la tête et la frustration qu’elle avait ressentie au début gonflait peu à peu dans ses entrailles. L’appel de la chasse revenait au galop. Elle était venue pour ça, après tout, et son élan avait brusquement été interrompu par cette rencontre atypique. Maintenant, son corps tout entier semblait lui supplier de continuer sa traque, assoiffé de sang et de furie, la bête en elle cherchant à forcer la sortie. Au désir de bataille s’alliait le désir de festin, et Kane cédait facilement à ceux-ci.

« Bon, tu m’en veux pas, mais faut que je file. »  Son visage s’assombrit et le prédateur sembla revenir le temps d’un instant. « J’ai quelqu’un à retrouver. » Avant de disparaître de nouveau quand elle se détendit. « Enfin bref, on reste en contact. Essayes de pas mourir sur le chemin ! » lança-t-elle tout en s’éloignant, agitant sa main en signe d’au revoir. Bien que son ton était léger, elle savait à quel point la nuit pouvait être dangereuse pour un humain. Un bon nombre des siens n’hésiteraient pas à se jeter sur un humain tel que lui…

Et s’il mourrait, bye-bye les cours de téléphone !